Brahms - Begräbnisgesang

Johannes Brahms

Begräbnisgesang

op.13

« De manière implacable et avec un sérieux presque impassible, semblable à la fatalité du destin, s’entend au loin la simplicité d’une monotone mélodie de marche de funérailles. Les instruments qui accompagnent le chœur sont, en genre et nombre, limités à l’essentiel et leur sonorité est un mélange d’éclats stridents et de solennité. Dans le trio, il n’y a aucune complainte douce, aucun apitoiement, mais la consolation venant de la certitude d’être délivré des souffrances de la vie qui instille le cœur d’un homme. La mélodie, de caractère folklorique, présente chaque note comme sculptée. »
Philipp Spitta (1892)

C’est ainsi que le musicologue Philipp Spitta, un ami de Brahms, décrivait le Begräbnisgesang dans un essai publié en 1892. Ces lignes traduisent le fort impact qu’avait produit cette œuvre après sa publication en décembre 1860.
Brahms avait seulement 25 ans quand il a écrit le Begräbnisgesang. C’était en novembre 1858 à Detmold, où il a travaillé d’octobre à décembre des années 1857 à 1859, en tant que professeur de piano, pianiste et chef d’orchestre pour le prince Léopold III de Lippe. La mise en musique est basée sur le texte d’un hymne religieux du théologien protestant Michael Weiße (1488-1534), publié pour la première fois en 1531. Avec des phrases pleines de sagesse, le texte de Weiße évoque l’ensevelissement du corps sur le point de redevenir poussière, jusqu'à sa résurrection le Jour du Jugement, mais aussi l’immortalité de l’âme éclairée jusqu’au memento mori adressé aux vivants. Même si elle maintient un motif strict de huit syllabes, la séquence de l’accentuation dans les versets est souvent irrégulière et échappe à tout schéma métrique. Cette structure est en partie responsable de l’archaïsme du poème. Brahms lui-même s’est appliqué de façon très intensive à l’étude de la musique ancienne au moment où il a écrit le Begräbnisgesang, et cette œuvre en montre clairement des traces. Ainsi, par exemple, le style imitatif de la mise en musique de la Strophe V (« Die Seel, die lebt ohn alle Klag ») rappelle le début du duo de soprano et alto (« Den Tod Niemand zwingen kunnt ») dans la cantate Christ lag in Todes Banden de Bach (BWV 4). Mais c'est surtout au niveau de la prosodie que Brahms a été le plus fortement influencé par la musique prébaroque mensuraliste. Cela donne lieu à une interprétation à la fois solennelle et légère.
Comme il l’a fait pour l’ensemble de ses œuvres, Brahms a également soumis cette pièce à un examen extrêmement critique et l’a révisée avant sa publication. L’orchestration faisait appel à l’origine aux cordes graves. Mais, fin mars 1859, le compositeur écrit au violoniste Joseph Joachim : « J’ai orchestré magnifiquement mon Grabgesang. Il est bien différent maintenant que j’ai supprimé les violoncelles et contrebasses inconvenantes. » Brahms a sans doute estimé que les instruments à cordes étaient « inconvenants » non seulement en ce qui concerne l’atmosphère sonore rigoureusement conçue, mais aussi pour une raison plus pratique. « Le Grabgesang se joue très lentement et doit être chanté à la tombe », écrit Brahms à Clara Schumann le 4 décembre 1858. Les cordes n’auraient pas été appropriées pour ce type de représentation en plein air. Toutefois, Brahms a personnellement quelque peu atténué cet aspect quand il a écrit à son éditeur Jakob Melchior Rieter-Biedermann : « Nous ne devons pas (seulement) le chanter à la tombe, mais aussi à l’enterrement ou à la mémoire de l’enterrement. » Il insinuait donc que l’œuvre pouvait également être interprétée dans le cadre d’un service funèbre et même en concert.
Quant aux raisons de sa composition, le musicologue Jürgen Neubauer a avancé en 1999 une théorie intéressante. Il a montré que la séquence des notes de la première mesure du thème contient, par le nom des notes, les initiales C. SCH [c-(d)-es-(d)-c-h] de Clara Schumann. Il est probable que Clara Schumann l’ait remarqué. Le 20 décembre 1858, elle écrivait à Brahms : « Le Grabgesang m’a profondément émue ; [...] je l’ai eu avec moi pendant plusieurs jours maintenant. J’espère qu’on le jouera sur ma tombe un jour – je veux dire que tu avais pensé à moi dans cette pièce. » Après la mort tragique de son mari Robert en juillet 1856, Clara a traversé des phases de désespoir et exprimé des pensées de mort à plusieurs reprises. L’anagramme est peut-être un signe discret qu’il y a un lien entre le Begräbnisgesang et la mort de Robert Schumann. Brahms, qui a beaucoup vénéré Schumann, lui aurait rendu un dernier hommage à son enterrement. Il aurait donc pu concevoir le Begräbnisgesang comme un « tombeau » à la « mémoire de l’enterrement » de Robert Schumann et, simultanément, comme un signe de réconfort et d’espoir à l’attention de son amie en deuil Clara Schumann.
Enfin, il est intéressant de signaler que ce chant funèbre annonce déjà le Requiem allemand, dont les premières esquisses datent de cette fin des années 1850 ; ainsi, l’unisson de la seconde partie, « Erd ist er und von der Erden », est très proche du chœur « Denn alles Fleisch ist wie Gras » ; l’écriture sombre du début préfigure le mouvement initial du Requiem, tandis que les timbales en triolets annoncent le deuxième mouvement, mais aussi le premier des Vier ernste Gesänge, avec son rythme d’anapeste à la mélodie conjointe, composé presque quarante ans plus tard.

[Source : Ulrich Mahlert, Préface, 2010, édition Breitkopf Nr. 8312]

Date de composition: 
1858
Texte(s): 
Durée: 
7'