Stravinsky - Symphonie de psaumes

Igor Stravinsky

Symphonie de psaumes

Version transcrite pour chœur mixte, piano à quatre mains et percussions

Structure: 

I. « Exaudi orationem meam » (psaume 38, 13-14)
II. « Expectans expectavi » (psaume 39, 2-4)
III. « Laudate Dominum » (psaume 150)

« C’est une prière qui mord, une prière d’acier ; elle viole notre expectative, nous brise sous le fer de son ironie. Et c’est précisément pourquoi elle nous émeut tant. »
Leonard Bernstein, à propos de la Symphonie de psaumes 

« Cette symphonie, composée à la gloire de DIEU, est dédiée au Boston Symphony Orchestra à l’occasion du cinquantième anniversaire de son existence » : c’est là l’inscription que porte la Symphonie de psaumes composée « dans un état d’ébullition religieuse et musicale », comme le commentera Stravinsky lui-même, entre janvier et août 1930 en France, à Nice et Écharvines.
Durant l’hiver 1929, Stravinsky reçoit commande de Serge Koussevitzky, directeur musical du Boston Symphony Orchestra, d’une « œuvre symphonique d’environ 25 minutes » qui doit être créée, parmi d’autres commandes, à l’occasion de concerts marquant le 50e anniversaire de son orchestre. En août de la même année, il est frappé par la soudaine disparition de Serge Diaghilev, son mentor, protecteur et second père. Sa détresse est d’autant plus profonde qu’une brouille récente entre les deux hommes l’avait dissuadé de lui faire ses adieux. Pendant ce temps, sa femme Ekaterina s’enfonce dans la tuberculose autant que dans la dévotion : les icônes tapissent les murs de l’appartement des Stravinsky, où l’on songe même à aménager un oratoire privé. C’est de cette ferveur quelque peu viciée que naît la Symphonie de psaumes à l’occasion de cette commande, qui permet à Stravinsky d’accéder publiquement au genre de la musique sacrée. 
Jusqu’ici, seul un bref Notre Père pour chœur mixte a cappella composé en 1926, mais encore enfoui dans les tiroirs du compositeur, avait marqué son retour à la religion. Afin de contourner le schéma de la symphonie romantique « qui le séduisait fort peu », Stravinsky décide ainsi de se tourner vers un matériau et une écriture étrangers au genre : « Finalement je m’arrêtai à un ensemble choral et instrumental dans lequel ces deux éléments seraient mis au même rang sans aucune prédominance de l’un sur l’autre. […] Quant aux paroles, je les cherchai parmi les textes spécialement créés pour être chantés et, tout naturellement, la première idée qui me vint à l’esprit fut d’avoir recours au psautier. » Il précise par ailleurs : « Il ne s’agit pas d’une symphonie dans laquelle j’ai introduit des versets de psaumes chantés. Bien au contraire : j’ai symphonisé le chant des psaumes. »
Bien que le texte soit une version des psaumes 38, 39 et 150, réécrits dans la Vulgate, la musique partage avec la grandeur du rite orthodoxe quelque chose d’impalpable. Pour le critique américain Paul Rosenfeld, l’œuvre évoque la voûte de mosaïque dorée d’une basilique byzantine « d’où le Christ et la Vierge contemplent froidement l’humanité endolorie ».
Symphonie pour chœur et orchestre, l’œuvre s’articule en trois parties. La première s’ouvre comme un prélude voué à l’interrogation et au malaise, la voix des suppliants s’amplifiant jusqu’au paroxysme sur un rythme implacable. Une longue déploration des bois seuls introduit alors la double fugue de la deuxième partie : interrogation anxieuse, clameur militante puis ferveur consternée conduisant à l’Alleluia presque désespéré qui ouvre la partie finale de l’œuvre. Stravinsky se plaisait à raconter que les quatre accords qui le constituent et qui reviennent au milieu et en conclusion du dernier mouvement, lui furent suggérés par un lointain écho du chœur de la cathédrale russe de Paris, où des voix détonnaient. À la déploration initiale succède une louange du Seigneur en forme d’élan guerrier, évocation, selon Stravinsky, « du char d’Élie traversant le ciel ». C’est alors, enfin, que peut se déployer, dans une foi qui semble confortée, un nouveau traitement de la louange divine, conclusion fervente et rassérénée. Dans la coda, les timbales ressassent un motif de quatre notes sur 42 mesures d’un lent ostinato quasi minimaliste, ce qui provoque un hiatus presque imperceptible avec le tactus ternaire de ce passage et confère à ces dernières minutes la grâce contemplative de l’éternité.
Ernest Ansermet devait dire de la Symphonie de psaumes, dont il dirigea la création européenne le 13 décembre 1930, une semaine avant celle de Boston, qu’elle exprime la religiosité des autres – dépassant ainsi la pure subjectivité de la foi personnelle de son compositeur pour devenir une forme musicale religieuse hautement significative par elle-même.

Notes d’après

  • Igor Stravinsky, Chroniques de ma vie, Denoël, 1962
  • André Lischké, « Igor Stravinsky », in Guide de la musique sacrée et chorale profane, Fayard, 1993
  • Leonard Bernstein, La Question sans réponse, Robert Laffont, 1982
  • Alex Ross, à l’écoute du XXe siècle. La modernité en musique, Actes Sud, 2010
Date de composition: 
1930 - révision 1948
Création: 
  • 13 décembre 1930, création européenne au palais des Beaux-Arts par la Société philharmonique de Bruxelles sous la direction d’Ernest Ansermet
  • 19 décembre 1930, création américaine par le Boston Symphony Orchestra sous la direction de Serge Koussevitsky
Nomenclature: 
percussions
Piano (quatre mains)
chœur (SATB)
Durée: 
23'