Duruflé - Requiem

Maurice Duruflé

Requiem

Version pour mezzo-soprano, chœur mixte et grand orgue

op.9
Structure: 
  1. Introït
  2. Kyrie
  3. Domine Jesu Christe
  4. Sanctus
  5. Pie Jesu
  6. Agnus Dei
  7. Lux æterna
  8. Libera me
  9. In Paradisum

« Ce Requiem n’est pas un ouvrage éthéré qui chante le détachement des soucis terrestres. Il reflète, dans la forme immuable de la prière chrétienne, l’angoisse de l’homme devant le mystère de sa fin dernière. Il est souvent dramatique, ou rempli de résignation, ou d’espérance, ou d’épouvante, comme les paroles mêmes de l’écriture qui servent à la liturgie. Il tend à traduire les sentiments humains devant leur terrifiante, inexplicable ou consolante destinée. »

Maurice Duruflé

« Depuis longtemps j’étais envoûté par la beauté des thèmes grégoriens de la messe des morts. Est-ce ma fonction d’organiste qui m’y prédisposait ? C’est probable. Toujours est-il que vers 1945, je fus tenté d’écrire une Suite pour orgue dont chaque pièce serait inspirée par ces thèmes grégoriens. Je commençai par le “Sanctus”, puis je passai à la communion (“Lux æterna”). Après avoir terminé ces deux pièces, je ne pus m’empêcher d’entendre les paroles latines qui étaient intimement liées à ces thèmes. Cette fusion de la parole et du son me paraissait indissociable. Finalement, mon projet se transforma et je me décidai à entreprendre la réalisation d’une messe de Requiem pour solo, chœur, orchestre et orgue. Le projet était beaucoup plus vaste, mais je me sentais soutenu d’abord par la richesse thématique qui s’offrait à moi, et aussi par le texte latin qui l’accompagnait. De gros problèmes se posèrent alors, celui de la rythmique grégorienne dont la souplesse était visiblement incompatible avec la rigueur de notre mesure moderne. Avant d’entreprendre ce travail, j’allai faire part de mon projet et de mes inquiétudes à Auguste Le Guennant, alors directeur de l’Institut grégorien de Paris. Cet homme exceptionnel, qui connaissait à fond le chant grégorien et la liturgie, avait longtemps travaillé avec Dom Gajard, maître de chœur de l’abbaye de Solesmes. Je ne pouvais pas trouver meilleur conseil. Il m’expliqua la théorie de l’interprétation des bénédictins de Solesmes, l’emplacement de l’ictus rythmique, non pas nécessairement sur l’accent tonique latin, mais plus volontiers sur la dernière syllabe du mot. En conséquence, le temps fort de notre mesure moderne coïncidant naturellement avec l’ictus à cause de la concordance de l’appui rythmique (thésis), ce temps fort se trouve considérablement allégé, puisqu’il ne supporte plus l’accent tonique latin. Il n’a plus cette lourdeur, cette monotonie de notre premier temps moderne, toujours pesant, toujours régulièrement accentué. Dans cette interprétation de la rythmique grégorienne, il n’y a plus, pour ainsi dire, que des temps faibles. La merveilleuse ligne grégorienne et le texte latin prennent une souplesse et une légèreté d’expression, une retenue et une douceur immatérielle qui la libèrent du cloisonnement de nos barres de mesure. De plus, l’alternance irrégulière des groupes binaires et ternaires, basés sur une unité de valeur invariable, donne au rythme musical une vie, une densité et un renouvellement constant. Mon travail fut alors orienté dans ce sens. Il fut d’autant plus exal­tant que cette interprétation m’ouvrait des horizons inconnus. Cependant le chemin fut souvent rempli d’embûches. Il fallait interpréter le texte grégorien plutôt dans l’esprit que dans la lettre. Tous les neumes dont il était orné s’adaptaient mal à notre mesure rigide. Il fallait donc jouer avec ce texte, s’identifier à lui de manière à pouvoir l’abandonner plus ou moins, le modifier si nécessaire, en contracter la ligne ou au contraire l’amplifier, puis en prolonger l’atmosphère. Quelquefois il fallait l’oublier totalement, en particulier dans certains développements suggérés par le texte latin (“Domine Jesu Christe”, “Sanctus”, “Libera me”). Puis au contraire il fallait aussi parfois le respecter intégralement pour ne pas abîmer les périodes où il devenait sublime (“In Paradisum”). J’écris généralement avec beaucoup de difficulté et de lenteur. Le piano, dont je ne peux pas me passer dans ce genre de travail, est un instrument merveilleux, mais il est dangereux. Il trahit autant qu’il stimule. Paul Dukas, à sa classe du Conservatoire, nous conseillait d’ailleurs d’écrire sans piano. Je n’ai jamais pu y parvenir. Je ne crois pas beaucoup à ce qu’on appelle “l’inspiration”, cette sorte d’état de grâce que l’on s’imagine par moments ressentir, sans aucun effort personnel. Je crois plutôt au travail par élimination, travail lent, difficile et souvent décourageant, mais qui peut à la longue provoquer une sorte de dédoublement de soi-même, d’état second pendant lequel la pensée peut réussir à se dégager du corps, un corps dont on ne sent plus alors la présence. Il peut arriver ainsi qu’à ce moment on ait la sensation d’écrire comme si la solution était dictée. Cette sensation étrange, fugitive, qui est du domaine du subconscient, ne peut être provoquée précisément que par un effort constant d’élimination de tout ce qui semble inacceptable. C’est du moins ce que je crois. J’ai souvent montré mes esquisses. Je les ai ensuite plus ou moins retouchées. Avant de passer à la version défi­nitive, j’ai également pris contact avec Nadia Boulanger, dont la sévérité de jugement m’a toujours attiré, bien que cette sévérité fût parfois terrible. Mais il fallait l’interpréter et en tirer la leçon. Quand l’ensemble fut à peu près debout, je passai au stade final d’orchestration. C’est alors la récompense de l’effort. En effet, si le travail de composition est souvent décourageant, ici il devient passionnant. Il s’agit uniquement de choisir les instruments, de mélanger les timbres, de réaliser l’écriture, bien que ce choix ait été déjà esquissé en cours de composition. C’est une joie d’un ordre intellectuel peut-être, mais une joie réelle. Le piano, dans ce cas, est un intermédiaire indispensable, un ami sûr. Ma partition achevée, je la proposai au comité de lecture de la Radio qui la reçut. La première audition en fut fixée au 2 novembre 1947. Entre-temps, je dus chercher une interprète pour le “Pie Jesu” écrit pour mezzo-soprano solo. Je pensai à Hélène Bouvier que je ne connaissais pas personnellement, mais dont j’admirais le talent. La prise de contact fut miraculeuse. C’était exactement la voix que je cherchais. Et de plus, je fus transporté par la chaleur et le style de son interprétation. Par la suite, je n’ai jamais retrouvé une interprète aussi merveilleuse. L’exécution eut lieu à la salle Gaveau avec le concours de l’orchestre national, des chœurs de la Radio, avec Hélène Bouvier bien entendu, sous la direction de l’excellent Roger Désormière. J’étais à l’orgue. L’accueil du public et de la presse fut favorable et j’eus la chance d’être rejoué par la suite dans plusieurs associations symphoniques. J’ai dédié mon Requiem à la mémoire de mon père. »

[source : Maurice Duruflé]
 

Date de composition: 
1948
Nomenclature: 
mezzo-soprano
chœur (SATB)
orgue