Bernstein - Chichester Psalms

Leonard Bernstein

Chichester Psalms

Version transcrite pour chœur mixte, piano à quatre mains et percussions

Structure: 

I. Maestoso ma energico (psaume 108, 2) – Allegro molto (psaume 100)
II. Andante con moto, ma tranquillo (psaume 23) – Allegro feroce (psaume 2, 1-4)
III. Prelude, sostenuto molto – Peacefully flowing (psaume 131) – Lento possibile (psaume 133, 1)

« Many of us would be very delighted if there was a hint of West Side Story about the music. »
Very Reverend Walter Hussey
 

« En juin 1964, alors que je prenais un congé sabatique du New York Philharmonic, j’ai passé l’année presque entière à écrire de la musique dodécaphonique, voire d’autres choses encore plus expérimentales. J’étais heureux de tous les sons nouveaux qui en découlaient, mais après quelque six mois de travail j’ai tout détruit. Ce n’était pas ma musique, ce n’était pas honnête. Ce qui en est advenu, ce sont les Chichester Psalms, la pièce la plus accessible, la plus tonale et la plus “si-bémol-majeurisée” que j’aie jamais écrite. »

« These psalms are a simple and modest affair,
Tonal and tuneful and somewhat square,
Certain to sicken a stout John Cager
With its tonics and triads in E flat major.
But there it stands – the result of 
my pondering,
Two long months of avant-garde wandering –
My youngest child, old-fashioned and sweet.
And he stands on his own two tonal feet. »

La commande du Très Révérend Walter Hussey (célèbre commanditaire des Rejoice in the Lamb de Benjamin Britten et Lo, the full final sacrifice de Gerald Finzi) pour son festival musical de 1965 arrive à moment idéal dans la vie de Bernstein – l’une des rares périodes de calme relatif. Le doyen de la cathédrale de Chichester lui avait suggéré : « Beaucoup d’entre nous seraient tout à fait ravis si la musique avait en elle un soupçon de West Side Story. » Le compositeur profite de cette occasion pour reprendre des pages écrites pour The Skin of Our Teeth, un projet abandonné de comédie musicale, et un chœur coupé dans le Prologue de West Side Story qui serviront de matériel thématique pour l’élaboration de son œuvre. Bernstein réalise ainsi le souhait musical et liturgique de Hussey en restant fidèle à son style personnel. Les Chichester Psalms s’inspirent donc d’influences éclectiques et mêlent jazz (mesures asymétriques, scat), harmonies pop, musique liturgique juive et chrétienne, contrepoint classique, etc. que le compositeur revendique ainsi : « Qui êtes-vous si vous n’êtes pas la somme de tout ce qui est arrivé avant ? Tout ce que vous avez vécu au moins... tout ce qui a été important dans votre expérience, en grande partie inconsciemment. »
Chacun des trois mouvements est construit autour d’un psaume entier apparié à quelques versets d’un autre. Pour la chef d’orchestre américaine Marin Alsop, élève de Bernstein, les psaumes retenus sont principalement œcuméniques et ont un attrait universel. Seul le psaume 131 parle explicitement d’Israël. Les psaumes 23 et 100 sont très souvent utilisés dans des contextes chrétiens. Enfin, le verset 1 du psaume 133, qui conclut l’œuvre, invite à la coexistence pacifique de tous les peuples et les cultures et l’acceptation de toutes les confessions. Aussi, les Chichester Psalms juxtaposent des parties vocales communément associées à la musique religieuse (comprenant l’homophonie et l’imitation) avec la tradition liturgique judaïque. Le compositeur précise très clairement que le texte doit être chanté en hébreu (aucune traduction anglaise ne figure sur la partition), en utilisant les contours mélodiques et rythmiques de la langue hébraïque pour dicter l’humeur et le caractère mélodique. 
Avant la première « officielle » du 31 juillet 1965, Bernstein obtient la permission de donner sa pièce en « avant-première » à New York. Le 15 juillet 1965 au Philharmonic Hall, il dirige le New York Philharmonic avec John Bogart, alto soliste, et la Singers Camerata, dirigée par Abraham Kaplan. à la suite du concert, le chef de chœur aurait assurer au compositeur que sa pièce allait devenir l’une de ses plus célèbres œuvres. Depuis, la prédiction de Kaplan n’a jamais été démentie : son style « Broadway » et son caractère universel ont vite été adorés du public. Les Chichester Psalms sont l’une des compositions les plus jouées de Bernstein.
Le premier mouvement s’ouvre sur le psaume 108, 2 (« Réveillez-vous, harpe et kinnor ») par un appel brillant construit sur l’intervalle de septième majeure, thème principal que l’on retrouve à la toute fin de l’œuvre et qui engendre une forme cyclique. Ce majestueux choral d’ouverture introduit un chant de louange (psaume 100) écrit sur une mesure à 7/4 extrêmement dansante. On notera l’importance que revêt le chiffre  7 dans toute la pièce, très important dans la Gematria ou numérologie hébraïque. Le second mouvement commence tout doucement et simplement par le chant du psaume 23 (« Le Seigneur est mon berger ») confié au garçon soliste accompagné par la « harpe » qui évoque musicalement le roi David, enfant berger s’accompagnant de la lyre. Afin de n’en pas perdre le caractère innocent et naïf, Bernstein insiste sur l’importance que ce solo soit chanté par un enfant et, à défaut, par un contre-ténor. Cette mélodie avait été originellement composée pour le musical The Skin of our Teeth. La « blue note » qui la conclut paraît alors moins étrangère... Les voix de sopranos divisées entrent ensuite en canon, d’abord dissonnant (« Quand je marche dans la vallée de la Mort »), puis s’apaisent pour symboliser la proximité du Seigneur (« Je ne crains aucun danger car Tu es près de moi »). Cette tranquillité s’interrompt violemment par l’entrée des voix d’hommes sur le psaume 2 (« Pourquoi les nations ragent »). L’idée de discorde et de rires moqueurs est aussi transposée en canon. Bernstein reprend ici des éléments mélodiques originalement composés pour le Prologue de West Side Story dont le texte initial était un peu moins pieux « Mix! Make a mess of ‘em. Make the sons of bitches pay! »... La section suivante est sans doute la plus puissamment inspirée de toute l’œuvre. Le compositeur superpose les deux thèmes : celui de l’innocence chanté par les voix de femmes, tandis que persiste toujours à l’arrière-plan celui de la colère des nations chanté par les voix masculines. Le troisième et dernier mouvement est divisé en trois sections distinctes, chacune ayant son propre affect. Dans sa lettre à Hussey, Bernstein décrit le prélude instrumental, « construit sur la base du choral d’ouverture, mais où les harmonies sont détournées pour dépeindre la douleur. Un moment de crise ». Cette introduction passionnée et élégiaque, basée sur l’ajout de demi-tons à des accords tonaux, n’est pas sans rappeler l’ouverture de la 5e Symphonie (1937) de Chostakovitch. Elle laisse entrevoir le thème de l’innocence du deuxième mouvement. La tension s’apaise alors et laisse place au thème de l’humilité (psaume 131) construit sur un bercement irrégulier d’une mesure à 10/4 (Peacefully flowing). L’œuvre s’achève enfin avec une célébration de l’unité symbolisée par le chœur a cappella dans le style d’un choral luthérien chanté pianississimo. La reprise du motif principal exposé dans l’ouverture confère à ce final le sentiment d’achèvement d’un rite sacré. Le texte « Hineh mah tov » (psaume 133-1, « Vois comme est bonne et combien agréable, la réunion de frères bien ensemble ») est fréquemment chanté lors des rassemblements juifs pour exprimer combien il est important d’être ensemble. La musique et le texte se combinent dans un plaidoyer visionnaire pour la réconciliation et l’unité dans le monde entier. L’unisson sur l’Amen final en est le symbole. Bernstein conclut : « Il y a, dans la coda chorale, une prière pour la paix. »

Notes d’après

  • Alain Poirier, « Leonard Bernstein », in Guide de la musique sacrée et chorale profane, Fayard, 1993
  • Renaud Machart, Leonard Bernstein, Actes Sud, 2007
  • Ethan Nash, « Understanding and Performing Bernstein’s Chichester Psalms », Choral Journal, February 2009
Date de composition: 
1965
Création: 

• 15 juillet 1965, « avant-première » au Philharmonic Hall avec le New York Philharmonic, John Bogart (alto soliste) et la Singers Camerata (dir. Abraham Kaplan) sous la direction du compositeur
• 31 juillet 1965, première « officielle » lors du festival de Chichester sous la direction de John Birch, dans la version « for all-male choir » telle que conçue par le compositeur

Nomenclature: 
chœur (SSAATTBB)
Piano (quatre mains)
percussions
Durée: 
20'